VAL-DORMANT

 

 

Je t’attends... dans la torpeur d’un soir d’été tout enveloppé de fragrances, dans la clairière bleue où les rayons s’égarent, désolés et fragiles, tombés sur la mousse dense comme par méprise dans ce monde perdu où l’absence s’emmêle au désir de ton regard, je t’attends avec joie, avec délectation, avec impatience et ravissement aussi, car je sais que tu viens, que tes yeux attentifs liront dans ces feuillages bercés par la lumière, les messages d’amour que j’ai gravés pour toi, dans le creux des souches mortes et dans les gîtes abandonnés des lièvres trop peureux qui ont détalé à ton approche.

 

 

Je t’attends et je sens par tout ce qui me touche l’approche de tes pas, je goûte avant de la vivre cette ivresse qui me hante depuis ce temps immémorial, avant même que j’existe déjà je t’attendais, sans le savoir encore. Je me penche sur l’eau des fontaines, je bois les sources claires comme des élixirs qui me feront plus belle, plus désirable, plus mystérieuse ; je me roule dans les herbes sèches pour y imprégner mon parfum ; je laisse mes empreintes  sur les pierres des chemins de ce pays qui est le mien, parce que je l’invente au fil des mots, au fil des images qui déroulent leur sarabande dans mes pensées secrètes. Et je te livre là toutes les clefs de mon univers, j’ouvre les battants des portes qui referment mes songes les plus purs, les mieux préservés jusque là. Je me livre à toi toute entière, et je t’attends, je t’attends là, dans cette forteresse bâtie par mes chimères, impénétrable, citadelle du cœur inaccessible à d’autres que toi.

Je t’attends...

 

**************

 

 

Val-Dormant est un lieu étrange et solitaire,  un long château de pierre enchâssé dans un écrin d’or vert, un vallon de  douceur et de calme repos quand le jour est au bleu, quand le soleil se dore à l’aplomb des grands chênes. Mais sitôt que la lune a montré sa plénitude oblongue, un voile de mystère épanche son brouillard, et les formes se prennent aux jeux des follets, la frange des forêts se peuple de présences, et l’on entend parfois des musiques frémir entre les buissons de ronces noires et drues. Les troncs tourmentés prennent alors des figures insolites, on croise des lutins de contes séculaires, le loup hurle parfois quand la neige est épaisse, les chasses sont ouvertes, les fuites éperdues.

 

Val-Dormant... tout un monde où mes rêves se perdent, où mes mots se délitent au fil de mes frissons, de mes fantasmes, de mes égarements, de mes illusions. Un monde qui se crée au gré de mes envies, sans que même j’y pense, un monde qui se dessine au bout de ma plume, avant que ne m’y aventure il n’existait pas...

 

Dans le Château des Songes les chandelles brûlent, et les volets sont clos sur mon imaginaire.

Un grand feu de bûches claires crépite au foyer de la Salle des Soupirs, gardée par sept armures aux noms de paladins : Tibert, Roland, Aymon, Bayard, Ogier, Lanfroy et Aymeric.

De longues tapisseries couvrent les murs austères, où la Licorne vient boire aux mains de sa Dame un filet d’eau très pure. De grands coffres de bois et des tapis de laine, un lit aux baldaquins fleuris de roses blanches, un vitrail écarlate et azur monté sur une haute fenêtre à meneaux achèvent le décors.

 

Je te ferai visiter plus tard le reste de la Citadelle, à toi qui viens ce soir accompagner ma solitude. Je t’emmènerai dans le vaste domaine courir le cerf et lâcher le faucon, cueillir les Altises et débusquer les Omphalotes. Je te donnerai les clefs de mes passages, te dévoilerai les issues dérobées,  les mots de passe des anciennes oubliettes.

 

Mais en retour, me seras-tu fidèle ?

 

**********

 

 

 

Les Sylphes de septembre... Je les ai aperçu au détours d’un chemin de traverse, dans la fraîcheur du soir étoilé de pénombre, au plus profond de la forêt  d’Haullière, dans un passage franc entre deux troncs de hêtres : ils avançaient  doucement, comme le font les elfes, blottis l’un contre l’autre et tenant dans leur main l’emblème de leur horde, une longue baguette de giroflier, coupée dans le sommet au solstice d’hiver.

Où allaient-ils, à quelle danse de nuit étaient-ils conviés,  que cherchaient-ils ainsi dans ces taillis désordonnés, quel trésor fabuleux avait été enfoui, quel secrète mission venaient-ils accomplir ? 

 

Je me dissimulais pour mieux les traquer, les poursuivant longtemps dans les halliers sauvages, me jetant sur le sol et rampant dans les feuilles. J’avais l’habitude de ces chasses de nuit, quand des lueurs blafardes tombent de Phoebe. J’aime ces quêtes vaines aux lisières des mondes,  entachées de légende et de sourde frayeur.

 

Mais je les ai perdus dans le fond d’un ravin, à la faveur de l’ombre éclatée d’un nuage. A peine si j’ai vu, sur les traces laissées dans les ténèbres floues, la blancheur d’une plume égarée de leurs ailes...

 

Tu ne sauras jamais la légèreté de leur vol.

 

 

***********

 

Chhhtttt... Le voilà, il approche... Écoute... Tu ne le vois pas encore mais tu peux entendre ses pas, son souffle rauque et bas, et le halètement qui signe sa présence... Écoute ! Ne trouble pas l’instant, le silence des bois. Il vient boire les eaux de la source perdue. Il aime sa fraîcheur et sa limpide transparence. Il aime s’abreuver quand les bois sont déserts, quand le soleil se love au fond de son écrin grenat, couronnant les boucles d’or de sa longue chevelure. Il aime la paix du soir et ne sort que pour se désaltérer.

 

Je vais t’enseigner l’art de le surprendre. Suis-moi dans ces fourrés où les feuillages sont épais, cueille ces salicaires et frottes-en ton corps afin qu’il ne te devine, le vent emporte ton odeur, tache d’être attentif... on ne peut l’approcher qu’avec grande prudence, c’est le Seigneur des Hauts-lieux, long, puissant, majestueux...

 

Écoute... notre affût peut durer jusqu’à l’aube, le temps n’est plus ici qu’un sablier qui fuit, une heure est comme un grain, un jour est comme une ombre... Tu n’es venu me voir que pour te perdre encore dans ces allées touffues et ces couloirs du rêve, si tu me fais confiance  et si un peu tu m’aimes, tu sauras entrevoir les joyaux de ce monde. Mais il faut pour cela laisser ton cœur s’ouvrir, ton regard se purifier, tes passions se détendre, c’est un havre de paix qui ne s’offre qu’aux Doux....

 

Regarde !... La brume de la nuit se dissipe à l’annonce de l’aurore...  Il est parti. Nous reviendrons au crépuscule tenter une autre approche.

 

**********

 

Ce matin les tambours incertains de la pluie ont éveillé les mémoires d’automne. Les gris se sont noyés dans les bois et les ocres, les marais silencieux ont revêtu leur habit de brouillard où les perles de bruine enfilent leur ennui. Val-Dormant se repose au creux de ses faiblesses, épuisé de courir après les nuits sans lune. Ne cherche plus d’ éclats en ce monde froissé, c’est le règne de l’eau, troublante et imprégnée d’insondables tourmentes. L’eau des miroirs brisés, des reflets qui s’engluent, des lueurs qui se meurent.

 

Viens plutôt me rejoindre à côté de la flamme, les tisons sont ardents, la tiédeur confortable. Tu es ici chez toi, dans la Salle des Livres, aux grimoires jaunis par les doigts qui les tournent, manuscrits précieux venus de notre Histoire.  Prends celui qui te tente. Ouvre-le sans en préjuger, laisse-toi emporter dans les mots qu’il recèle, pénètre entre les lignes comme on flâne sur les chemins herbus bordés de fleurs sauvages. Ose l’abîme des mots, et oublie tout le reste... On peut tout concevoir en un instant de silence habité.

 

Tu es au cœur du Livre et de la connaissance. L’univers t’appartient car c’est toi qui le crées.

Tu conçois le silence, et les fleurs, et le ciel, les lumières et les ombres, les couleurs et les brumes, les ravins et les monts ; les sentiers se déroulent à l’appui de tes pas. Tu génères les sons que tu voudrais entendre, et les êtres nouveaux que tu rencontreras. Tu bâtiras tes cathédrales. Vois comme c’est facile à présent de te perdre ! Si je lâche ta main tu ne sauras plus te conduire,  ni retrouver les hautes tours de mon  Château de Val-Dormant. Mais tu mèneras enfin ta quête solitaire, vers ta propre demeure et tes secrets désirs. Alors tu apprendras le goût de la vraie liberté.

 

************

 

Les étoiles filantes ont troué la sombre pèlerine de ténèbres, le firmament  délicat aux dessins d’anges purs. Le silence est tombé sur les longs marécages, comme un rideau de neige désolée, comme une pluie d’obscurité confuse, comme un songe éthéré dans la tiédeur d’automne. Les feuillages soupirent et les hases se terrent, car le renard en chasse est sorti des fourrés. C’est le temps de la Nuit, le temps des marches rudes dans les hauts gagnages.

 

Il faut partir, le héraut des montagnes a lancé son appel aux limites des horizons, et l’écho m’en revient dans sa course ondulante. Il est temps, il est l’heure. Emporte un  solide bâton pour ce pèlerinage, le chemin sera long, parfois semé d’embûches. Nul besoin d’autre chose, nous boirons sur la route l’eau des sources fraîches, et cueillerons des baies, des simples, des lichens, j’en connais de forts bons qui redonnent vigueur. La Quête de Lumière n’est pas si éprouvante...

*********

Nous voici parvenus dans les terres trempées. Respires-en largement les effluves mêlées, de menthes bleues, d’acores panachées, de renoncules d’or. La tourbe y est propice à l’affût des aigrettes et des foulques véloces, mais nous ne cherchons là que les joyaux de lumière, les trésors fabuleux que les premiers rayons de cette aube d’automne vont venir déposer au creux des herbes folles, sur le miroir poli des larges eaux dormantes, aux reflets de malachite et d’ambre roux.

 

N’aie crainte, le moment de ta Quête te sera dévoilé... tu verras, dans les calices parfumés, des éclats stupéfiants d’une intense beauté. Tu verras irradier la rosée sur le sol, ces lucioles de feu qu’il te faudra cueillir : derniers saphirs de la nuit, opales de lune, diamants et perles de pluie, aigues-marines de ruisseau,  rubis et hématite de l’aurore,  émeraudes des  feuilles et des herbes humides. Tu découvriras les améthystes au cœur des salicaires et des orchis, les topazes cachés au creux des ancolies, des vipérines, et enfin  les citrines dissimulées parmi les potentilles... Cherche bien ! Même dans l’envol d’un héron ou la danse d’un lycène, tu peux dénicher la Lumière ! Si ton regard est pur et s’ouvre à la splendeur, des richesses prodigieuses te seront offertes...  La Quête ne s’arrête qu’à la nuit, quand les derniers rayons ont éteint les tourbières et laissé la pâleur aux clartés des étoiles. Tu n'auras pas de gibecière pour ramener ta moisson, nul éclat de ces pierres précieuses ne se peut thésauriser. La beauté ne se garde pas dans des coffres fermés.

 

 Mais tu sauras préserver les trésors amassés dans l’abîme ébloui de ton regard radieux.

Tes yeux recèleront longtemps les lueurs de tes rêves.

 

**********

 

Pourquoi es-tu venu ce soir écouter mon silence ?  Es-tu venu pour entendre l’écho troublé de mes rêves indociles ? Pour découvrir la nébuleuse de mes pensées ombrageuses et indomptées, la voie lactée qui conduit à l’ultime refuge de ce monde en devenir ? Es-tu venu avec passion, avec lassitude, avec l’espoir secret de franchir avec moi les portes du Donjon ? Il est trop tôt encore... Tu ne me connais pas, ou si peu, que le puits serait comblé d’étoiles, et les larmes du ciel fleuriraient sur les amandiers, avant que tu n’abordes mes rivages sans t’échouer sur leurs écueils tranchants... Val-Dormant est un pays de légende et de fragilité, il te faut me suivre avec douceur, sans trop de hâte, et réfréner ta course, et refouler encore les questions qui te hantent. Je ne peux le livrer qu’avec tendresse,  avec ce goût de miel et de myrte sauvage qui excitent mes lèvres, cette délicatesse qui captive l’esprit, ce voile patiemment et lentement tiré, qui attise le feu de tes appétences. Sinon, pourquoi venir rejoindre mes contrées, aux mystères impénétrables, aux présences furtives, aux  passages celés, aux musiques aériennes, aux appels puissants et farouches ?

 

Non, Val-Dormant n’est pour toi qu’un long ravissement, une énigme à résoudre, une interrogation qui se prolonge infiniment, et tu regretterais de devoir t’en aller, sans avoir auparavant percé toutes ses arcanes...

Alors, prends la mesure du chemin qu’il te reste à parcourir, avance à pas prudents dans ses vertes clairières, dans ses forêts de loups et de chasses ouvertes, où des yeux te guettent, où des oreilles se tendent, où des sources suintent à l’aplomb des rochers, où les mousses tapissent les souches tordues, où les marais dessinent les reflets veloutés du ciel d’ambre et d’azur, où les cimes renvoient les rumeurs et les chants, et les cris des orfraies et les longs hurlements des carnassiers en rut.

 

Couche-toi maintenant, souffle la flamme haute sur le chandelier droit posé sur la console, écoute dans la nuit s’élever la clameur du silence, et laisse-toi aller dans le règne des songes. Laisse le crépuscule envahir tes doutes. Lâche tes certitudes.

Tu reviendras demain parce que tu espères.

 

**********

 

T’ai-je parlé déjà du puits, t’ai-je parlé des Ombres ? Il s’ouvre dans le Val comme une antre profonde, un passage secret où boivent les palombes. Il s’ouvre comme un vide effrayant et sublime, un long couloir obscur enfouissant dans la terre sa ténébreuse empreinte, son sillage infini d’eaux limpides où les sylphes se penchent, où l’écho se démène, où les vœux se prononcent, où les astres se noient, où les clartés se délitent, où les reflets s’emmêlent, où les ramiers se posent, trouvant sur le rebord des étroites margelles l’exquise compagnie des oiseaux de sous-bois, tarins, fauvettes, mésanges et bouvreuils. Il surgit dans le Val comme un trône de pierre, surmonté d’un arceau forgé dans ce métal plus précieux que l’airain, et sa chaîne pendue va s’oublier dans l’abîme obscur d’où surgissent les Ombres.

 

Les Ombres... leur nom déjà te dira leur nature, insaisissables, fuyantes, à peine distinguées...

Formes évasives, floues, incertaines,  ces indécises mouvances de l’air qui laissent en mourant dans le calme du soir l’étrange sensation de ne pas exister, mais on les voit pourtant revenir et se fondre, prendre une consistance, et parfois presque un visage oublié... Ces ombres du passé qui repartent et reviennent, danser autour de toi de folles sarabandes, s’accrocher à tes rêves, à tes fragiles nuits, à tes désirs d’amour... ces Ombres, qui te hantent et qui te font souffrir.

 

Et pourtant, de ce puits sans fond, tant de douceur peut aussi s’échapper ! Dans la touffeur d’un été incandescent, la fraîcheur de son eau est un baume suave qui guérit de la soif et de l’incandescence, et le roucoulement tranquille des tourterelles alanguies, le bruissement des feuilles, voûte verte et lumineuse, en prolongent le faste miroir par un luxueux chatoiement de sons et de couleurs. Viens avec moi, je te dirai comment descendre, au fond même du gouffre, puiser sans trouble et largement les joies de l’onde pure,  sans déranger les spectres engloutis de ce lieu centenaire, comment boire à la source au creux de tes mains jointes, c’est le geste secret, la clef de ce mystère... car deux mains rapprochées, vois-tu,  offrent et recueillent, car deux mains réunies sont emblèmes d’amour.

 

Et quand tu auras puisé l’eau bleue du Val-Dormant, tes ombres apaisées lâcheront ton sommeil, tes années de tourment, tes pesants souvenirs. Je t’attendrai.

 

 

**********

 

C’est un murmure d’eau qui me l’a révélé. La brume matinale avait à peine déroulé son écharpe soyeuse au delà des jachères, là où les roselières bruissent aux souffles lents des brises répandues sur le vallon encore ensommeillé, à l’heure où la roseraie encore ombrée n’a pas éclot ses calices d’or pur et ses parfums subtils. Sur les herbes foulées s'ouvraient les  traces de sa fuite, et sa course éperdue vers les sommets du Nord. Il était tombé là, il s’était relevé, et avait poursuivi sa marche précipitée et silencieuse. Vers les mondes évanouis d’une aube insaisissable, vers les silences bleus pâles des marais aux volutes brumeuses, vers les trompeuses apparences que dessinent parfois les astres sur les branches.  Il s’est perdu en route, comme bien d’autres avant lui, parce qu’il n’a pas voulu faire halte en mon silence.

Il erre maintenant entre les hautes cimes, abandonné de tous dans ces lieux déserts où les loups rôdent, où les hivers glacés avancent leurs chevaux de neige et de frimas, où les rapaces guettent de leurs yeux perçants les mouvements les plus infimes, dans ce grand jeu inégal de l’impossible solitude.

 

 

J’ai refermé les portes et resserré mes clefs, et nul n’entrera plus dans le Château du Val, puisqu’il a refusé les patiences offertes. Mais ne sois pas triste. Il reste assez d’espace où se perdre, assez de fleurs à ramasser à grandes brassées joyeuses, assez de lacs où se baigner dans les aurores lumineuses,  assez de gemmes éclatantes à recueillir sur les plateaux couverts, assez de forêts profondes où trouver des passages. Il reste assez de place pour toi dans mon domaine : un sentier de traverse est un risque à courir, il ne mène parfois qu’au bord d’un précipice... et rebrousser chemin n’est pas oeuvre d’oubli. Il arrive parfois que les échos se perdent, que les empreintes les plus nettes s’effacent sur le sable meuble, que les oiseaux perdus expirent dans les bois, mais la vie continue, aussi riche et singulière qu’autrefois. Les voies toutes tracées ne sont pas pour mon rêve. A moi, il faut, vois-tu, cette part nécessaire de liberté qui laisse chance à mes tendresses. Mais ne me force pas, ne force pas ma porte... elle resterait fermée sur ces mots, et les ronces entrelacées en cèleraient à jamais les gonds mangés de rouille.

 

**********

 

Val-Dormant s’est enveloppé d’abandon, de vaporeuses et infinies lueurs qui dansent entre les aubes automnales, à l’heure où les traques s’achèvent, où les loups regagnent leur tanière, où les orfraies rentrent au nid dans les ombres cachées des arbres creux, où les rapaces ont regagné leur aire à l’aplomb des falaises perdues, dans les monts d’airain chapeautés des premières neiges muettes,  immaculées. Les pluies sont revenues, denses, opaques, grises, obsédantes,  écartelant les ténèbres d’une musique obscure et permanente, monotone, accablante. Les marais des basses terres  s’emplissent du chant des crapauds, des macroules noires et des avocettes frileuses. On se noie entre deux ciels, entre le réel et son reflet, entre deux mondes similaires où les images sont  impénétrables, intangibles, mirage impermanent , où l’on distingue, tourmenté, le monde infini de l’imaginaire...

 

Je suis seule, dans le Château du Val. Les paladins en armures ont baissé leur garde, les sentinelles brodées sur les baldaquins se sont couchées dans les roses fanées dont les pétales jonchent le sol de pierre blonde. Tu ne viendras pas ce soir cueillir avec moi les fleurs bleues de la douce quiétude, ta main ne caressera pas la courbe de mes reins. Tu as quitté ces lieux que je t’avais offerts, et ma solitude lasse, épaisse, englue de morosité ces forêts inertes où les lumières éteintes ont étouffé le bruit de tes pas enfuis.

J’ai semé sur notre ciel des milliers d’étoiles et je suis dans la nuit. J’ai allumé des brasiers dans notre destinée, et j’ai si froid. J’ai dispersé mes mots et mes chants sur tes lèvres, et le silence m’étouffe. J’ai voulu t’emporter là où les oiseaux volent, mes ailes sont brisées.

Reviens, la solitude est trop lourde à porter. Reviens, je laisserai bien plus de liberté à ton mutisme, à tes fatigues. Ne me laisse plus seule, je t’en prie, reviens.

Je ne te dirai plus ces « toujours », ces « jamais », ils te font peur et je le sais. J’ai compris tant de choses, mais n’est-il pas trop tard ? J’ai si mal de te perdre. J’ai rêvé d’un amour qui ne s’éteindrait pas, et la bougie vacille. J’ai voulu te garder dans ma prison dorée, tu as brisé tes chaînes. Reviens, la solitude est trop lourde à porter.

Dans mon désir j’ai voulu la perfection d’une passion sans heurts, mais je n’ai pu saisir que des bribes de toi, des soirées solitaires, des heures à désirer tes mains pour me réconforter, des heures à te chercher sans vouloir te le dire, notre silence a déchiré la nuit d’une insupportable souffrance, mes larmes, mes sanglots n’y pouvaient rien changer. J’ai froid, j’ai mal, j’ai peur, peur de briser ton rêve, notre vie en dépend. Mal de cette solitude absurde et sans issue, reviens ! Reviens... vers moi, car tu es là, si proche,  si absorbé d’absence, en un cercueil de verre où je ne puis t’atteindre. Tourne-toi simplement, fais-moi signe d’amour...

J’ai semé sur notre ciel des milliers de soleils et je suis dans la nuit. J’ai allumé des brasiers dans notre destinée, et j’ai si froid. J’ai dispersé mes mots et mes chants sur tes lèvres, et le silence m’étouffe. J’ai voulu t’emporter là où les oiseaux volent... mes ailes sont brisées.

Et le Val sans toi n’est plus qu’un long orage, aux fulgurances déchirées, aux ciels noyés de pleurs, aux joyaux brisés, aux arbres calcinés, aux voûtes écroulées.

Pourtant... Il suffirait que tu reviennes...

 

*************