Petite fille, écoute cette histoire, elle fait partie des histoires de la vie. Un jour, était-ce hier ou sera-ce demain ? Le grand vent s'est levé au fond de la montagne. Il est venu de loin, des profondeurs du temps, arrachant derrière lui les feuilles et les branches, pliant les grands sapins et les hêtres moussus. Il est venu, rageur, en hurlant ses rafales, sifflant sous les portes closes, et s'engouffrant partout où il pouvait. Sur la mer emportée il soulève ses gerbes d'écume, roule les eaux en charges furieuses. Tout est vert, gris, blanc, lactescent : tout n'est qu'éclaboussures. Le vent se heurte encore aux forces du granit, dans un combat incessant, inégal car la roche est solide, mais le furieux n'entend plus rien, plus rien ne le retient, il fonce, charge, se démène, éclate en mille embruns ses vagues, gifles salées qui claquent le rivage. Le vent n'est pas rassasié, il n'a pas encore eu son content de violences. Il lui faut à présent arracher les clôtures, déshabiller les haies, rouler les guis dans les creux des chemins. Il faut pour le bercer que la terre se plie, que les champs se tapissent, et que les nuées là-haut aient dévasté le ciel. Et puis, quand le jour tombe, il manque enfin de souffle et le calme revient. Les oiseaux effarés ressortent des abris, et la lune se lève sur les bois apaisés. La mer, seule, mettra un peu de temps à reprendre sa place. La campagne pansera doucement ses plaies béantes. La clarté d'un jour nouveau effacera toutes les traces de ce jour là, où le vent est venu, de plus loin que les monts. Ne dis pas trop vite que le vent est méchant, petite fille, car l'homme est plus violent encore, et ses blessures plus difficiles à guérir.
Badadou
© 2006 |