Impression automnale

 

C'est l'automne. L'automne... La fraîcheur des soirs clairs, la teinte plus douce des feuillages, la chaleur encore réconfortante du soleil, la merveilleuse blancheur des nuages et l'étrange mélancolie qui imprègne chaque chose. Belle et tendre nostalgie d'un été qui s'évanouit dans le ciel encore bleu.

 

 L'automne, saison déclinante et si fière pourtant, dans la chute dansante des feuilles dorées, dans les rondes folles de ces petits cercles emportés par une brise joyeuse, sans souci de l'hiver proche... Cher automne. Compagnon inespéré de mes songeries attristées : oui, une feuille s'envole, une page est tournée, la farandole du temps emporte mes jours tranquilles comme les pétales fanés d'une rose pâlie. Qu'elle était belle, pourtant, la rose de mes souvenirs !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un petit chemin étroit, herbu et tortueux, bordé de friches et de pinèdes, me conduisait jusqu'à la côte. Là, les falaises de granit absorbaient la lumière orangée, presque rasante, d'un coucher de soleil, dans la transparence immaculée de l'air. A leur pied, les flots d'un bleu-vert très foncé laissaient deviner avec précision les fonds marins : algues brunes, rochers couverts de coquillages, sable blond aux reflets chatoyants. Un doux clapotis faisait naître une frange d'écume à peine formée, et une brise câlinante venait rafraîchir la brûlure du jour.

 

Et je marchais sans me soucier de rien, pas même du tracé du sentier sur la lande parsemée de bruyère odorante et de roches moussues, je marchais, irrésistiblement attirée par la mer scintillante, inspirant, tranquille, l'air salé qui me caressait le visage. Je marchais, droit devant, enivrée de sauvage beauté, de solitude et de silence...

 

Soudain, dans le soir brûlé d'azur, provoqué par l'approche de mes pas, l'envol tourbillonnant d'une colonie de goélands argentés... l'immense déploiement de centaines d'ailes blanches dans la lumière dorée, et, déchirant le silence, le déchaînement indigné de leurs protestations aiguës. L'espace alors, empli d'une multitude tournoyante et désordonnée, me sembla plus grand, plus désirable ; soudain je ressentis, poignant, fulgurant, le désir inassouvi de m'élancer comme eux dans l'air pur, vers l'onde transparente... Mais je restais figée au sol, comme assommée par trop de beauté, et ne possédant pas d'ailes pour partir, pour être libre, monter dans la profondeur des cieux, plus haut, jusqu'à quelles limites ?

 

Le soleil, lui, poursuivait insensiblement sa chute brûlante vers les flots et disparaissait peu à peu derrière la ligne incandescente de l'horizon, tandis que l'ombre du Vieux-Château se figeait, s'éteignait... Quelques instants encore et la lanterne du Grand Phare éblouirait le réveil des étoiles...

 

Tout ça, oui, tout ça n'est plus qu'un souvenir. Le temps a passé.

 

Automne, cher automne, pénètre maintenant en mon cœur un peu perdu, et que la contemplation de ta simplicité, de ta tranquille acceptation des bonheurs perdus me montre un lambeau de réponse...

 

J'ai besoin de tant d'amour, de tant d'amour...

 

Sceaux, 1991