Le printemps à l'île d'YEU
Le soleil et le vent caressent le jardin et font danser les fleurs. La blancheur du prunier rejaillit sur le bleu un peu pâli du ciel : l'arbre est paré pour un mariage et les jacinthes rient comme des demoiselles d'honneur. Les tulipes donnent la main aux giroflées tandis que les primevères, timides, restent de leur côté. Un merle siffle, un papillon volette. est-ce un papillon ? Un dernier flocon de neige égaré par l'hiver ? Un pétale emporté par la brise ? N'importe... Le printemps passe, il sourit, il sème de la joie, du bien-être, de la lumière.
Sur mon île, ce doit être une même explosion de vie et de couleurs, un même déploiement de nouvelles et bouleversantes splendeurs. Splendeur... N'entends pas ce mot dans ce qu'il a de grandiose et de majestueux. Au contraire, dans ce qu'il dessine de plus simple et de plus touchant, de plus pur et de plus naturel, presque d'enfantin. Je voudrais te la faire imaginer, mon île, ne serait-ce qu'un peu, et même si tu n'en concevais qu'une fugitive et fulgurante image, pourvu qu'elle fût conforme à sa réelle beauté, tu comprendrais. Tu comprendrais quelle paix on peut y trouver, quelle clarté, quel repos...
Mais comment te la décrire encore ? Si je te disais que les mots me manquent pour la qualifier,parce qu'il en faudrait inventer de plus lumineux, de plus intimes... tu penserais que j'exagère ! Et pourtant...
Pendant que tu découvrais les grands espaces enneigés de Finlande, je reprenais ces petits sentiers de terre rocailleuse qui courent dans la lande, quelquefois bien humides et pavés de ces flaques où le ciel et les pins se reflètent. Le coucou ne chantait pas encore, mais les pinsons, chardonnerets, rouges-gorges et bergeronnettes, déjà au rendez-vous, accompagnaient mes souvenirs. Il flottait un parfum de résine trempée et d'herbe amère, de sel et d'océan.
L'océan ! Enfin je le retrouvais, là, immense, grondant, tapis infini et chatoyant déroulé devant moi, avec ses teintes les plus belles ; du bleu-profond saphir à l'étincelance émeraude, il captait dans sa mouvance rythmée l'éclat parfois plus doux d'une soyeuse opalescence, sous le ciel aigue-marine parsemé du nacre des nuages.
Et comme pour ajouter encore à l'éblouissement de ses coloris, il déployait pour moi sa plus belle panoplie de vagues. Les vagues... Fugitif éclatement de la masse liquide concentrant sa puissance, conjugaison de force et de légèreté ! Roulement de tonnerre transformé soudain en le plus pur, le plus élégant jaillissement de lumière ! Respiration retenue de la mer, brisée en un éclat de rire ; bouquet de fleurs d'eau, aériennes, éparpillées dans l'azur par le vent du large ; miracle de la vague,évanouie dans l'instant mais épanouie en mon souvenir... Comment dire ? Comment te dire cette symphonie de lumières, de mouvements, de parfums et de couleurs, ces grondements, ces chocs, laissant place aux ruissellements clairs et joyeux de l'eau sur les rochers et, au-dessus de tout, ivres sans doute les longs cris répétés des oiseaux de mer, leur ombre planante, le souffle sourd du vent et tous les frémissements de la lande, derrière ? Peux-tu l'imaginer ? C'était si beau, si beau !
Et puis, peu à peu, le soleil au déclin irisait l'atmosphère, rasant les flots, accentuait leur relief, et donnait au paysage entier des reflets d'incendie – non, de feu de joie ! Je pensais que bientôt, de l'autre côté de l'île, le long ruban des plages tranquilles rassemblerait dans les baies ces mêmes oiseaux blancs pour fouiller le sable blond,les eaux transparentes et peu profondes, selon l'immuable loi du monde. Des barques remplies de soleil et de liberté regagneraient le Port et, quand je serais partie, l'océan poursuivrait seul la danse de ses vagues... Oui, seul, dans sa superbe immensité où le jour chavirerait...